Programme Pas assez suédois ! : Danses crues

Programme Pas assez suédois ! : Danses crues

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Partage

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Pièce pour 12 artistes chorégraphiques

D’après NUIT DE SAINT-JEAN de Jean Börlin

Pièce du spectacle Pas assez suédois !
Dans le cadre du centenaire des Ballets Suédois 1920-1925


Conception et chorégraphie
Dominique Brun
Assistante à la chorégraphie
Marie Orts
Recherches des matériaux
Dominique Brun, Sophie Jacotot, Marie Orts
Scénographie
Odile Blanchard
Réalisation de la scénographie
Atelier Devineau
Musique originale
David Christoffel
Lumières
Éric Wurtz
Conception des costumes
Marie Labarelle
Réalisation des costumes
Werkstattkollektiv
Sabots
Bruno Seroin-Joly
Montage vidéo
Bérangère Goossens
Répétitrice
Isabelle Bourgeais
Co-production
Les porteurs d'ombre
Conception et chorégraphie
Dominique Brun
Assistante à la chorégraphie
Marie Orts
Recherches des matériaux
Dominique Brun, Sophie Jacotot, Marie Orts
Scénographie
Odile Blanchard
Réalisation de la scénographie
Atelier Devineau
Musique originale
David Christoffel
Lumières
Éric Wurtz
Conception des costumes
Marie Labarelle
Réalisation des costumes
Werkstattkollektiv
Sabots
Bruno Seroin-Joly
Montage vidéo
Bérangère Goossens
Répétitrice
Isabelle Bourgeais
Co-production
Les porteurs d'ombre

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« Les Ballets suédois de Rolf de Maré existent entre 1920 et 1925 et côtoient les Ballets russes de Serge Diaghilev. Ces compagnies étrangères – dont Paris forge les renommées – se ressemblent en ce qu’elles inventent un art total qui mêle tout à la fois la poésie, la plastique, la musique et la danse. C’est Jean Börlin qui en est l’unique chorégraphe et le danseur fétiche. Sur certaines des photographies, Börlin apparaît avec sa figure joufflue, il a l’air d’un enfant. Sur d’autres, on a du mal à le reconnaître : il se métamorphose au gré des danses qu’il invente. Börlin passe ainsi d’Arlequin au Derviche ou bien à d’autres figures exotiques ou abstraites... Il s’inspire de tout, des danses libres d’Isadora Duncan, de celles d’expression de Mary Wigman, de Charlie Chaplin ou encore du folklore suédois. Pour ma part, je ne connais que peu les danses de ce chorégraphe parce qu’on ne peut plus les voir véritablement. Autrement dit, je ne connais pas leurs dynamiques, ni l’espace et le temps qu’elles recèlent. C’est pourquoi la proposition qui m’a été adressé me trouble, bien qu’elle enthousiasme mon goût personnel pour la réinvention des danses du passé. Je reste désemparée par les danses de Börlin mais je suis aussi animée par le désir de prendre en considération son regard sur le monde, la manière dont il entre en résonance avec lui. Et si j’admire la modernité de ses procédures créatrices dont je me sens l’héritière, je me demande vers quelle œuvre me tourner pour réactiver la créativité de Börlin et des Ballets suédois. 

Peu à peu, les circonstances inédites que traversent nos sociétés m’amènent à envisager la création d’une pièce en partant du ballet Nuit de Saint-Jean, donné lors du premier programme en 1920, au théâtre des Champs Élysées, à Paris. Si cette chorégraphie me fait signe c’est parce que Börlin y reprend des danses folkloriques suédoises où l’on se donne les mains. Or, du fait de l’actualité, cet usage de nos mains nous est interdit. Je comprends aussi qu’on peut encore voir des extraits des danses de Nuit de Saint-Jean dans un film de Marcel l’Herbier qui date de 1925. Les rondes et les danses se voudraient « premières » –
« crues » – alors qu’en réalité, elles ont été transformées par Börlin. En portant ces danses à la scène, Börlin est allé à l’encontre du caractère ouvert, imparfait et mouvant de la danse folklorique pour en faire un « divertissement aimable et sympathiquement nostalgique » par trop caricatural à mon goût. Je choisis donc de m’en tenir à leur tradition : ces danses se pratiquent encore aujourd’hui, elles sont documentées, filmées et accessibles sur le net. Si je décide de repartir de ces danses suédoises c’est pour mieux les mettre en relation avec d’autres danses folkloriques, rencontrées lorsque je cherchais des inspirations pour le Sacre de Nijinski. J’avais été touchée par des danses macédoniennes qui proposaient des matériaux proches de ceux de Nuit de Saint-Jean. La confrontation entre ces danses folkloriques me donne la possibilité de dégager leurs dénominateurs communs, de les recomposer à partir de leur simplification et de leur dépouillement, mais aussi de laisser voir la diversité de leur consistance sédimentée par prise – comme la mayonnaise – du fait de leurs rythmes changeants non unifiés par un tempo unique. Ces changements de tempo, incarnés avec brio par les danseurs et danseuses, relèvent d’une virtuosité finalement presque invisible. 

Danses crues rassemble aussi d’autres écritures notamment celle de Marguerite Duras qui évoque poétiquement les « mains négatives » qu’on trouve dans des grottes magdaléniennes. Ces mains s’adressent à nous comme autant d’œuvres d’art. On y trouve aussi des films sur différents sujets (« musiciens », « moissons », etc.) et de diverses factures (documentaire ou film d’art) ; des photographies d’Arnold Van Gennep – l’un des premiers folkloristes français – et celle, anonyme, d’une farandole de la Saint-Jean autour d’un feu vertical. On voit aussi des peintures du Caravage qui représentent Saint Jean-Baptiste (le patron de cette fameuse nuit) et d’autres de ce peintre qui mettent en scène des « mains tendues vers l’impossible » (Georges Didi-Hubermann). Ces matériaux gravitent autour de points communs : les mains qui forment des rondes joyeuses et cette fameuse nuit où la nostalgie n’est pas en reste. Si je rassemble ces écritures, c’est pour soutenir et prolonger la posture artistique de Börlin. Danses crues relance un dispositif proche – pourtant sensiblement différent– de celui mis en œuvre par les Ballets suédois qui cherchaient la synergie entre les arts. Danses crues se structure grâce à des opérations de tissages qui permettent que s’entrelacent – à même la trame musicale – la peinture, la poésie, le cinéma et la danse. Le texte, les « objets-mémoire » que sont les photographies et les films, les corps – tout à la fois archives-et-œuvres d’art – des danseurs et danseuses, mettent en œuvre un rapport au passé et à certaines questions que l’art cherche encore et toujours à travailler aujourd’hui, comme la mort, le désir. Danses crues active la relation entre mémoire, histoire et mythes, diverses modalités de représentation du temps et de l’espace. Danses crues permet de marquer la séparation qui existe entre les images et les sons et que surgisse la puissance émotionnelle de leur rapprochement. Danses crues revendique d’inscrire l’art actuel dans le long cheminement de l’histoire des œuvres, de replacer l’art au centre de nos préoccupations en tant qu’il accompagne et questionne les changements inexorables de nos sociétés. Il s’agit finalement de mettre en tension la question implicite posée par Börlin dans Nuit de Saint-Jean : où commence l’art ? Avec celle qui s’est trouvée actualisée par notre actualité pandémique : en quoi l’art est-il essentiel à nos sociétés ? »

Dominique Brun



Texte : Les mains négatives de Marguerite Duras (avec l’aimable autorisation de Jean Mascolo)

Films et photographies projetés (par ordre chronologique d’apparition) :
Premier film – Jean Börlin extraits (1925)
Deuxième film – Musiciens extraits du film Jugoslavenski narodni plesovi de Rudolf Sremec (1948), photographie de Saint Jean-Baptiste dans le désert (1602-1604) Le Caravage
Troisième film – Les meules extrait du film Les saisons (1972) d’Artavazd Pelechian, photographie d’Arnold Van Gennep, folkloriste français (1873-1957), photographie d’une farandole de la Saint-Jean (non datée et anonyme)
Quatrième film – Homme, vieille femme, mains, moutons, berger Extraits du film Les saisons Artavazd Pelechian (1972), Photographie de Saint Jean-Baptiste (non datée) Le Caravage
Cinquième film – Décollation de Saint Jean-Baptiste (vers 1606) Le Caravage, Salomé avec la tête de Saint Jean-Baptiste (vers 1607) Le Caravage
Sixième film – Archives des Ballets suédois Börlin et les danseurs et danseuses des Ballets suédois dansant en plein air, en Suède, dans les années 20
Septième film – Chant et ronde des partisans extraits du film Jugoslavenski narodni plesovi de Rudolf Sremec (1948)

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Dominique Brun


Interprète et chorégraphe, Dominique Brun est co-fondatrice de la compagnie La Salamandre (1980 à 1988) avec laquelle elle obtient le troisième prix au concours international de Bagnolet (1981) «  Le Ballet pour demain », et également co-fondatrice du Quatuor Albrecht Knust (1994 à 2003) avec lequel elle recrée de danses du répertoire historique à partir de partitions établies en système Laban. Après la dissolution du Quatuor Albrecht Knust, Dominique Brun crée Siléo (2004) à partir d’un texte de Wajdi Mouawad et de danses de l’entre-deux guerres signées Valeska Gert, Kurt Jooss, Dore Hoyer, Doris Humphrey, Mary Wigman.

En 2007, Dominique Brun réalise un DVD pédagogique consacré à L’Après-midi d’un faune (1912) de Vaslav Nijinski. Sur l’invitation de Jan Kounen, elle recrée à partir d'archives de l'époque des extraits du Sacre du printemps de 1913 de Nijinski pour le film Coco Chanel & Igor Stravinsky (2010). 

Soutenue par L’Association du 48 dirigée par le danseur et chorégraphe Sylvain Prunenec, elle prolonge ses recherches sur le « Sacre » par un diptyque : Sacre # 197 (2012) et Sacre # 2 (2014). Elle conclut ce cycle consacré à l’œuvre de Nijinski par la création de Jeux – Trois études pour sept petits paysages aveugles (2017). Vient ensuite Les Perles ne font pas le collier pièce qu’elle co-signe et danse avec Sylvain Prunenec (2018).  Elle crée enfin Le Poids des chosesPierre et le Loup, son premier spectacle à destination du jeune public (et tout public) à partir du système de l'Effort de Rudolf Laban (2019).

Parallèlement aux recherches qu’elle mène sur le mouvement, Dominique Brun développe un goût artistique privilégié pour les relations qui s’établissent entre musique et danse. En 2016, la rencontre avec l’orchestre Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth donne lieu au partage d’un même plateau, celui de la Philharmonie de Paris, autour d’un projet Hommage à Nijinski qui tourne jusqu’en Chine.

Dominique Brun s'attèle aujourd'hui à deux œuvres majeures de Bronislava Nijinska. La relecture qu'elle entreprend des Noces et du Bolero, l'amène à une interprétation tant chorégraphique, que dramaturgique et musicale, le devenir des Noces et du Bolero se trouve entre tradition et interprétation, entre traces écrites et inventions chorégraphiques, dans les métamorphoses de la musique et de la danse.